
À la Croisée des Mots
Pour aller plus loin...
Marc Delouze
Parrain et Conseiller littéraire de C'mouvoir

Il est né à Paris et vit entre La Goutte d’Or (Paris) et la mer (Fécamp). Poète et voyageur « par la force des choses », il publie son premier recueil en 1971, Souvenirs de la Maison des Mots, présenté par Louis Aragon.
En résidence d’un an à Budapest (Hongrie), en 1975-76, il réalise, en collaboration avec des traducteurs sur place, une Anthologie de la poésie hongroise contemporaine, en coédition Corvina/Messidor(1978). Il fit de nombreux voyages en Hongrie depuis, pour le plaisir comme pour la participation à des colloques, festivals… Il racontera son histoire avec la Hongrie dans un récit, « L’Homme qui fermait les yeux sans baisser les paupières », paru au Bruit des autres en 2002.
Quelques années plus tard, se refusant à "faire le poète", il s'installe dans un silence éditorial d'une vingtaine d'années, pendant lesquelles il travaille à la recherche de nouveaux supports d'expression poétique, liés à la Cité d'aujourd'hui : spectacles de rue, poésie musicale, interventions diverses...et, en 1982, il crée l'association Les Parvis Poétiques, qui organise des événements, des festivals, des expositions sonores, des lectures-spectacles, etc. Il est également le créateur et animateur du Festival Permanent des poésies dans le 18è arrondissement depuis 1990, ainsi que le co-fondateur et conseiller littéraire (jusqu’à sa fin, en 2015) du festival de poésie Les Voix de la Méditerranée, à Lodève.
Il parraine le festival C’Mouvoir dans le Cantal, depuis sa création, en 2014.
Extraits
« J’étais au plus mal avec la vie quand j’ai reçu les premiers vers d’un inconnu nommé Marc, ainsi qu’un évangile dans ce temps d’Apocalypse. Je n’ai pas su vraiment écrire alors ce chapeau, comme on dit étrangement, pour présenter à la lumière ces mots chargés de nuit. J’ai écrit simplement une lettre à ce jeune homme qui n’avait jamais rien publié, qu’il n’arrive pas sans répondant devant les yeux du lecteur. Une lettre pour m’en excuser. Pour m’excuser de mon malheur. De cette paralysie d’écrire, alors, qui ne m’est pas encore guérie il est vrai, maintenant que paraît Souvenirs de la maison des mots. Pourtant cette voix m’est devenue familière. Marc Delouze est un peu de ma vie, de ce qui fait qu’elle se poursuit. Tout de même, si je regarde en arrière, c’est pour lui que, pour la première fois, après ce juin de 1970, j’ai forcé cette main, qui tremble d’écrire, à mettre l’un près de l’autre des mots dérisoires. C’est de lui que j’aurai reçu, alors, ce bizarre désir de survivre, même si je n’en étais pas conscient... »
Aragon (préface à Souvenirs de la Maison des mots, 1971)
Art Poétique
Je suis poète par la force des choses
Par la force des mots notre main sur les choses
Par la force des liens qui m’unissent aux choses
Pour chaque chose un lien
Pour chaque mot une main
De multiples aspects revêt ma paume et ses secrets
S’inscrivent en statues comme bouddhas énigmatiques
De théorique en théorique l’ongle a de la peine
à tracer la zébrure du temps qui passe
et me menace la fêlure des mots
comme la fragilité d’un papier consumé
Jérémie Tholomé
Poète performeur et travailleur social

Jérémie Tholomé est un poète performeur belge né en 1986. Il écrit des textes adaptés à l’oralité en claquant les mots comme Charles Bronson jouait du flingue et de l’harmonica dans un western-spaghetti.
Assistant social et enseignant, la ville de Charleroi et ses habitants sont ses principales sources d’inspiration. Ses influences littéraires débutent à l’adolescence avec les poètes de la Beat Generation.
Animateur d’événements poétiques et d’ateliers d’écriture pour adultes et adolescents, il se passionne pour la scène poétique contemporaine et ne se lasse pas de partager les mots de celles & ceux qui en font partie, accompagnant aussi des poètes sur le chemin de leurs propres publications.
Lauréat du prix Hubert Krains 2021, il publie ses textes chez maelstrÖm reEvolution (Rouge charbon, 2019 ; La Fabrique à cercueils, 2020 ; Le Grand Nord, mai 2022). En 2022, à l’occasion du centenaire de Jack Kerouac, il crée « Memory Babe, sur les pas de la Beat Generation », spectacle poétique en duo avec Ada Mondès.
Pour en savoir plus : https://jeremietholome.com/
Le Grand Nord (extrait)
(maelstrÖm reEvolution, 2022)
Dans le Grand Nord
L’algèbre est coupable de fautes d’orthographe / On déambule dans nos espaces de couloirs vides / En éructant l’arithmétique des courants d’air / Et les inuits s’endorment au son de la rhétorique des cravates en plastique
Les baleines synthétiques font la course avec les morses synthétiques / On injecte du sang électronique dans de la neige d’occasion / En priant tout un tas de dieux remasterisés par des terroristes professionnels / Et les poètes blafards meurent d’une forme rare de lèpre auto-immune
Les pains de luxe oublient qu’ils sont voués à rassir quoi qu’ils en disent / On roule sur des autoroutes bâties sur le dos de mille chiens morts / En réchauffant les revers de nos médailles à l’ombre d’ampoules connectées / Et des cendres résiduelles des bannis de la dernière rentrée littéraire
(…)
La quiétude des étendues blanches est une promesse prononcée les doigts croisés / On se souhaite la bonne année comme on aime à porter des fripes délicieusement vintage / En oubliant que nos banquises se nourrissent aussi des cris de mères désenfantées / Et que des pères meurent de rafales de bouchons de liège tirés à bout portant
(…)
Katerina Apostolopoulou
Poète

©Oumeya El Ouadie
Katerina Apostolopoulou est née à Volos, en Grèce, en 1981. Après des études de lettres et de civilisation françaises à l’université d’Athènes, elle arrive à Paris, où elle vit encore aujourd’hui, pour effectuer un DEA de littérature comparée à la Sorbonne. Elle se tourne alors vers la traduction et le théâtre en tant que comédienne et dramaturge.
En 2016, elle entreprend de traduire Ceux qui se taisent de Bruno Doucey pour les éditions Vakxikon, à Athènes. Avec J’ai vu Sisyphe heureux, elle publie son premier recueil, qui reçoit la Pépite Fiction Ados du Salon du livre et de la presse jeunesse en Seine-Saint-Denis/France Télévisions en 2020 ainsi que le prix René Leynaud 2021.
Je ne veux pas pleurer sur l’eau qui coule
J’ai fini par acquérir durablement le sentiment de l’éphémère.
Jean Rostand, Carnet d’un biologiste
Je ne veux pas pleurer sur l’eau qui coule
On ne retient rien, on le sait
Pas une goutte
Pas une goutte
Toi aussi tu as coulé
Tu m’as fui
C’est ainsi
Et moi je reste
Et moi je dis
Je ne veux pas pleurer sur l’eau qui coule
Peut-être plus tard
Peut-être plus loin
Encore nous deux
Ou pas du tout
Peut-être tout
Peut-être rien
Dire peut-être c’est peut-être fou
Que restera-t-il de tout ça ?
De ce qu’on fut
Si tu t’en vas
Bonne route
Et
Je m’en vais aussi
Préférerais-je oublier ?
Voudrais-je m’en souvenir ?
Je ne le sais
Je ne le sais
Mais une chose est certaine
Je ne veux pas pleurer sur l’eau qui coule
Adieu
À tout à l’heure, ami
Au revoir
À jamais
Ça n’a aucune importance
Et l’eau est fraîche
Viens !
Pierre Bergounioux
Écrivain, essayiste, sculpteur

©DR
L'enfance et le temps sont les deux pôles du territoire littéraire qu'arpente, depuis près de trente ans, Pierre Bergounioux. Plus de soixante titres, souvent des récits d'essence autobiographique, sont venus ponctuer cet itinéraire d'écrivain.
Des textes qui puisent à sa propre histoire : celle d'un enfant né au lendemain de la Seconde Guerre mondiale à Brive-la-Gaillarde, qui a grandi en Corrèze avant de venir faire ses études supérieures à Paris, et devenu des décennies plus tard l'une des quelques voix essentielles du paysage littéraire français.
Ecrire et enseigner : voilà ce qui a occupé l'existence de Pierre Bergounioux. En marge de quoi ont trouvé place d'autres passions : la sculpture, l'amour de l'entomologie et des arts africains.
Pierre Bergounioux a reçu le prix de la langue française en 2021.
Champs
Un philosophe écossais, David Hume, qualifiait ainsi notre condition : « Nous sommes les enfants de l’union monstrueuse de la faiblesse et du besoin ». C’est pourquoi nous sommes condamnés à produire et reproduire sans relâche ni cesse notre existence matérielle dans un contexte qui s’y prête plus ou moins. Les économistes ont tôt distingué entre les »bonnes » et les »moins bonnes terres ». La Beauce et la Brie, le Berry, la Picardie, la Limagne, par exemple, relèvent de la première catégorie. Qui ne les a pas traversées au début de l’été n’a pas idée de la richesse première, foncière. Un manteau d’or couvre la terre. Le même Hume attribuait la joie confuse qu’on éprouve à parcourir les campagnes fertiles, chargées d’épis, festonnées de vignes, pomponnées de vergers, à l’assurance que la faim et la misère, la mort, peut-être, nous seront épargnées.
On oublie. G. Duby, dans ses magistrales études sur le Moyen Age, rappelle que le sol, au XI e siècle, rend deux pour un. On mange un grain de blé. On rend l’autre à la terre si l’on veut subsister, encore, l’année d’après. C’est au XVIIIe que la révolution culturale, les prairies artificielles, la fin des jachères repoussent le spectre de la famine, qu’il disparaît de l’horizon. Ca n’empêche pas qu’il faille exploiter des sols médiocres pour fournir à chaque Français les deux quintaux de blé nécessaires, bon an mal an, à sa survie. On voyait encore, il y a une quarantaine d’années, des pièces de seigle et de blé noir (qui n’est pas une graminée mais une crucifère de petite taille à fleurs blanches et qui sent mauvais) accrochées aux contreforts du plateau de Millevaches. Ils portaient royalement quatorze quintaux à l’hectare quand la même superficie, du côté de Chartres ou d’Orléans, en livrait quatre-vingts, de froment. Les rendements dépassent, depuis peu, cent dix, dans ces parages. C’est pourquoi on ne voit plus de champs cultivés sur les hauteurs limousines mais, partout, des bois de sapins, qui sont encore le parti le moins désavantageux qu’on puisse tirer d’un sol acide, accidenté, humide, irrémédiablement infertile.
Quel rapport entre ces considérations pesamment matérielles, toutes économiques, et les produits hautement élaborés de l’invention plastique ? Celui-ci, à savoir que les artistes, comme tous les hommes, mangent. Ils ne peuvent écrire de livres, peindre des tableaux, sculpter le marbre, fondre le bronze qu’autant qu’on leur procure de quoi vivre. Autrement dit, il faut qu’une collectivité dégage le surplus qui fournira aux besoins des virtuoses dont elle obtiendra, en retour, qu’ils décrivent, en prose ou en vers, ses travaux et ses jours, figurent ses usages, ses exploits, ses visages.
Jacques Darras
Poète, essayiste, traducteur

©Ludovic Leleu
Jacques Darras et la Maye
" Depuis plus de quarante ans j’ai fait d’une petite rivière côtière de la Manche un symbole d’indépendance et de continuité. Son nom : la Maye. Ce court fleuve va directement à la mer, les vagues le recouvrant à marée haute, eau douce et eau de sel mêlées. À marée basse, on y marche pieds nus. L’emmenant avec moi autour de la planète, mesurant à son aune d’immensément plus grands fleuves, j’ai composé huit volumes de vers et prose, dont le titre réfléchit chaque fois son nom. J’ai, ce faisant, voulu émanciper à son socle guerrier l’épopée ancienne pour en faire le poème d’une vie entière. Certes, le feu de la guerre nous a une fois encore ironiquement rattrapés mais je tiens et maintiens, contre vents et marées que, pour survivre, nous devrons inéluctablement nous rapprocher de l’eau, sa fluidité et sa fécondité. Voire inventer d’autres rythmes, peut-être même un nouveau calendrier. "
Jacques Darras *
L’Indiscipline de l’eau (Poésie/Gallimard 2016)
Le Chœur maritime de la Maye (Le Castor Astral & In’hui 2022)
Épique ! Le poète dans le temps (Le Castor astral/Les Passeurs d’Inuits, 2021)
hêtre
ce n’est pas de l’ombre qu’il y a entre les hêtres
car les hêtres sont trop élevés leurs cimes trop proches
du ciel pour exclure tout à fait la lumière
de leur entourage mais à travers
le tissu végétal qui recouvre très haut la convergence
des troncs et qui donne du jour une version solaire
unanime sur le revers des feuilles en transparence
desquelles le ciel se présume jaune la lumière se
décompose laisse les marques de sa provenance astrale
à la lisière enfeuillée de la terre
cependant que le peu de rayons obliques
qui poursuivent son voyage plus avant jusqu’à la terre réelle
la terre noire entre les racines se diffusent
tout à coup pèsent d’une gravité de brume de sorte
que le corps transparent qui rend toute chose visible
devient visible à son tour au moment même de perdre de son
efficacité la lumière meurt au ciel mais advient
à la terre qui la colonise subtilement
qui la colore en bleu et vert au bain de
ses mares emplies d’une macération de faînes
l’eau monte comme par un chaume et nous buvons
cette humeur lumineuse qui ne s’appelle ombre
que par manque d’une détermination
Patricia Cottron-Daubigné
Poète

Originaire de Surgères en Charente-Maritime, elle vit aux abords du Marais Poitevin.
Elle a publié des poèmes dans de nombreuses revues telles que Décharge, Friches, Ici et là, Triages, Contre-allées, N4728, etc., sur le site de François Bon (publi.net) et remue.net.
Rédige des notes de lecture lisibles sur les sites remue.net, Terre à ciel, et Recours au poème.
"La poésie que j’écris arpente deux territoires : d’une part je m’intéresse à la société, à l’économie, à la violence qu’elles peuvent exercer sur les individus, qu’il s’agisse d’une fermeture d’usine ou du parcours des migrants par exemple. D’autre part dans la relation amoureuse, dans l’hymne à la femme j’écris l’intime, l’affectif , la sensualité.
A cette activité primordiale pour moi de l’écriture de poèmes, s’ajoutent l’animation d’ ateliers d’écriture avec des publics très divers (prisonniers, personnes âgées, publics de « quartiers défavorisés, etc.), l’écriture de notes de lecture et des lectures publiques."
Ceux du lointain (extrait)
Ici
l’océan
bat
l’espace
offre ses flots puis s'éloigne
laissant l'estran au silence
encore cette année je marche tard dans la saison
sur la plage
si près du jour des morts quel plaisir n’est-ce pas
l’été s’attarde dans le soir
je marche
dans des bruits de famille des petits bonheurs
étroits
et bien tranquilles
je marche je deviens la douceur de l’air
à peine bougée
du plaisir comme à tes mains
dans le soleil couchant
à la surface de l’eau des bras se tendent
des mains
s’accrochent
au cœur doré du soleil
le nôtre
n’a pas de place
pour vous
s’est englouti
dans toutes les paillettes
des mains s’accrochent des bouches s’ouvrent
crient et l’eau les emplit
des mains se tendent et tendent l’enfant
que nous ne sauvons pas
des visages hurlent ou peut-être rien béants
dans le silence
se laissent engloutir
épuisés d’horreur
c’est le jour des morts depuis longtemps sur
votre route.